
Quelques mots sur un « touche à tout » amoureux du ciel.
Interview de quelqu’un qui a longuement fréquenté les stages qu’il organisait.
L’homme qui ne renonçait jamais.
1. Un enfant de la ruralité normande.
Pierre Bourge est né et 1921 et décédé en 2013.
Venu au monde dans une ferme, il a vécu ses premières années dans un contexte rural qui ignorait tout de la « pollution lumineuse ». Très tôt curieux, il démontait ses jouets… et s’interrogeait des causes du mouvement des toupies, tout en écoutant sa grand-mère lui raconter les phénomènes astronomiques qu’elle avait observés.
À l’école, Pierre Bourge était un « cancre », qui n’apprenait que ce qui l’intéressait (sa scolarité pâtissant par ailleurs de nombreux problèmes de santé).
À treize ans il a fabriqué sa première lunette (en s’aidant du livre de Lucien Rudaux). Longue lunette (focale 1,78 m) faite avec des verres de bésicles...***1
Sa santé l’écartant de nombreux métiers, il reçut une formation d’horloger, qui lui sera d’un grand secours, par la suite, pour toutes les réalisations mécaniques qu’il voudra entreprendre.
2. La guerre et l’occupation
La guerre de 1939-45 a eu de lourdes conséquences sur la vie de cette génération.
Jean Texereau fut prisonnier de guerre pendant de nombreuses années.
Pierre Bourge ne partit pas et réussit même à échapper au STO. Il parvint même à bricoler un poste de radio « à galène » pour écouter clandestinement les émissions de Londres.
La Normandie à la Libération, champ de bataille du débarquement, était parsemée de nombreuses épaves de véhicules, sur lesquelles quelques bricoleurs hardis s’essayaient à démonter des pièces d’optique : lunettes de visée de chars...
3. La Société astronomique de Normandie (S.A.N.)
Fondée en 1945 avec un ami, Jean Chauvet, elle diffusa rapidement une publication entre ses membres. Celle-ci était tapée à la machine et complétée d’une illustration : une photographie collée sur la page.
Cette publication devait changer plusieurs fois de nom. Le dernier sera Ciel et Espace.
4. Un médiateur du ciel infatigable
Je n’aime pas le terme de « vulgarisateur », il me rappelle le sourire en coin des gens d’en haut quand ils parlent de ceux qui partagent leur savoir avec le reste du monde.
Je préfère celui de « médiateur » : celui, celle, par qui la connaissance circule, s’échange.
Pierre Bourge a été cela.
Fabriquant des lunettes économiques, inventant une monture à fourche permettant d’utiliser en équatorial le télescope « standard » de Texereau, construisant l’observatoire d’Aniane, publiant une revue…
… Il a inventé et édité une petite carte portative permettant de se repérer dans le ciel à l’oeil nu (Miniciel), publié de nombreux livres largement diffusés (le plus connu étant « À l’affût des étoiles », qui est régulièrement réédité), poursuivi et filmé les éclipses, organisé des stages.
… Construit une maison, aménagé un observatoire… Fondé l’AFA (association française d’astronomie).
… Organisé en 1979 le grand rassemblement astronomique des amateur à Nançay (et c’est là où je l’ai rencontré).
… et contrarié beaucoup de monde.
5. Les années amères
Fin 1979, Pierre Bourge avait tout réussi dans le domaine qu’il appelait « l’astronomie populaire »***2
Mais le monde change. En 1981, le pouvoir politique change de mains et, comme souvent, ceux qui arrivent veulent organiser les choses selon leurs vues et occuper des places.
Ciel et Espace était alors une revue largement ouverte au « petits », aux bricoleurs, aux inventeurs, tel Adrien Poncet et sa table équatoriale.
D’autres imaginaient autre chose : une revue plus belle, en couleurs, avec de la publicité…
En 1981, Pierre Bourge est démis de ses fonctions de directeur de la revue Ciel et Espace.
Citations :
« Ce n’est pas le moindre des paradoxes : ce sont ceux qui se réclament du parti politique censé défendre la culture populaire qui m’ont démis de mes fonctions de directeur-fondateur d’une revue de popularisation de l’astronomie que j’assurais bénévolement »***2
Louis Bériot ***3 dit la même chose : « ...la confiscation des responsabilités… l’appropriation des associations par les permanents qui nourrissent à l’égard des bénévoles des sentiments de commisération et de mépris quand ce n’est pas une animosité radicale... »
Dans ses mémoires, il revient longuement sur ce moment de son aventure dont il conservait beaucoup d’amertume.
6. Après...
… Fondation d’une nouvelle publication : Astro-Ciel, qui reprend l’état d’esprit de la revue initiale.
Pierre Bourge a continué son activité de médiateur, organisant des stages et se déplaçant même à Jeu-les-Bois pour l’inauguration de l’observatoire de l’AAI.
Remarque :
La journée du Soleil Pierre Bourge a été initiée par Philippe Morel suite au décès de Pierre Bourge.
( Devant sa petite coupole où il installa son coronographe avec lequel il a réalisé un film « Flamme du Soleil ».)
Notes
***1 j’ai fait un peu la même, à la fin des années cinquante, en m’inspirant d’un supplément du journal Spirou.
*** 2 « Mémoires d’un chasseur d’étoiles » Éditions Lire Canada.
***3 « Le bazar des solidarités », par Louis Bériot Édition JC. Lattès.
(Seconde partie)
Interview de Daniel Lachaud, Président de l’AAI et ami de Pierre Bourge.
Question :
Dans quelles circonstances as-tu rencontré P.B. ?
D.L.Ma première rencontre avec Pierre BOURGE remonte aux années 80, à cette époque il organisait un rassemblement chez lui chaque week-end de Pentecôte à Mortagne au Perche. Hébergement, chacun apportait sa toile de tente, son épouse Agnès s’occupait de la restauration moyennant une participation. Je m’y suis rendu chaque année jusqu’à ce que cela s’arrête.
Question :
Tu as participé à plus d’un stage qu’il organisait. Comment était-ce ? durée, dépenses, vie collective... ?
D.L.Pendant 12 ans j’ai participé au rassemblement " Astro Photo « qu’il organisait chaque année au col de » LA CHAVADE " en Ardèche ( 1300 m d’altitude ) hébergement dans un gîte de ski de fond en chambre de 4 ou 6 lits.
La propriétaire du gîte assurait le repas de midi, le soir on se débrouillait. Un labo photo était aménagé dans l’une des deux douches (nous étions encore à l’argentique ! ! ! ) nous étions une vingtaine toujours les mêmes (sauf rares nouveaux ) l’après-midi avait lieu le débrief de la nuit, chacun exposait ses travaux de la nuit, ensuite quartier libre, il y avait plein d’endroits à visiter. Le gîte n’étant plus au normes la propriétaire à arrêté la location.
Question :
Je crois que P.B.était présent lors de l’inauguration de l’observatoire de Jeu-les-bois. Peux-tu en dire quelques mots ?
D.L. Effectivement Pierre BOURGE était présent à l’inauguration de l’observatoire de Jeu-les-bois en juin 1988. Etant donné nos relations à cette époque il ne pouvait en être autrement, je l’avais même hébergé chez moi.
Question :
La monture du T400 est une fourche en bois. Pourquoi ?
D.L. Pour ce qui est du T400 il est construit en bois par commodité, mon père étant menuisier ébéniste. La fourche est en contreplaqué marine également car le bois atténue les vibrations.
(Remarque : elle est une copie « en grand » de la monture à fourche de Pierre Bourge).
Question : Peux-tu faire quelques remarques personnelles sur la personnalité, de P.B.....
D.L. Pierre BOURGE était une personne très attachante, cultivée avec qui j’ai partagé de longues heures de discussion et que j’aimais retrouver.
A l’époque d’Astro-Ciel je me rendais chez lui deux ou trois fois par an faisant partie du bureau de l’association qui gérait la revue. Il me demandait souvent des conseils pour usiner des pièces mécaniques sur son vieux tour. Le sous-sol de sa maison était une vraie caverne d’Alibaba...... il conservait plein de choses. Son décès m’a beaucoup marqué ayant partagé tellement de bons moments en sa compagnie.
Article et propos recueillis par Alain Leraut, adhérent de l’AAI.